C’est dimanche, on invite les amis : les filles à ressort de Jagaara et Edwin Congreave, clavier de Foals. On les laisse tranquille pour une sieste coquine, dont on découvre émerveillé les conséquences : ce remix chaudard de l’électro-pop parfois trop théâtrale des trois frangines londoniennes, déréglée par des circuits en surchauffe, des échos sans fond, de l’aléatoire dans une musique habituée au rangement, à la retenue. Un remix tellement sexy qu’on voudrait qu’il dure trois heures et monte avec une patience sadique. On va prendre GarageBand et le faire nous-mêmes, non mais.

On l’avoue sans retenue : Björk nous a manqué. Oui, Björk, cette chanteuse-cascadeuse, qui frottait la pop-music aux avant-gardes, pour voir si ça ne ferait pas des étincelles ou des volcans. On n’était pas seuls visiblement : Olivia Pedroli aime aussi ces équilibres très instables entre “Messiaen et Boney M”, comme disait l’Islandaise, elle aussi adepte de ce genre de poiriers sur une ligne de faille. C’est d’ailleurs un collaborateur de Björk, le grand Valgeir Sigurdsson, qui a entraîné la Suisse vers Reykjavik, où ils ont enregistré le somptueux et sinueux album A Thin Line, où culmine, sommet enneigé et escarpé, ce moment rare de gravité et de grâce.

De mémoire, on n’a encore jamais évoqué dans cette rubrique de producteurs de hip-hop hollandais. Pour combler ce retard impardonnable, on en prend deux d’un coup, que l’on mélange en secouant les outils : Tev Woods et Maydien. Mais on les secoue avec douceur, tendresse, le minimum syndical exigé par Left Lane, le genre de track lente et lubrique qui pourrait sacrément dévier une Manif Pour Tous vers quelque lupanar de grand luxe. Et de grande luxure.

C’est sans doute la faute de Four Tet, c’est évidemment à cause de Flying Lotus : de Los Angeles à Manchester, en passant par Montréal ou ici Paris, des jeunes gens aux discothèques exorbitantes et boîtes à rythmes affolées mélangent sans compter, sans doser, des breaks hip-hop, des montages électro et la furie suave du be-bop. Scène sans nom, sans leader, en constante évolution, qui invite à la transe plus qu’à la danse, menée par des artistes aux noms de sigles, aux visages parfois effacés. A ce jeu du découpage et du montage en ligne brisée, XYWHY fait ici des petits miracles de lascivité et de fluidité en laboratoire, évoquant des Roots abandonnés aux doigts experts et espiègles de généticiens aux doigts verts.

Il en va désormais du folk comme de tous les autres styles musicaux, du classique au métal : les artistes semblent recrutés sur casting. Prenons par exemple les trois grâces éthérées de Little May, australiennes aux chansons dépouillées, sans doute moins étudiées, moins sophistiquées que leurs mines et poses. Pour punir ce délit de belle gueule, on les écoutera strictement en streaming, histoire de ne pas fausser le jugement par la faute de YouTube.

C’est d’une écriture magnifique d’instituteur de jadis que Fabrice, moitié du duo montpelliérain Shhherpa écrit la lettre touchante qui accompagne son album : celle d’un dessinateur de BD, dont on aimerait désormais lire les bulles. Car sa musique, elle, est riche en bulles, pétillante, voire pétulante sous ses airs sage : un genre de folk perverti par l’électricité souillonne des Pixies ou Pavement, en lo-fi énervée mais souple du geste, décontractée, sans doctrine, sans principe. Juste sans doute parce que Shhherpa sait quand ses chansons sont finies – et c’est tôt. Un art (pauvre) du premier jet joyeux qui les rapproche parfois des Violent Femmes, on ne va pas s’en plaindre.

Des compilations, formidables, en vinyle chaud comme braise ont beau le répéter avec une conviction de missionnaire : il existe une scène garage ahurissante à Manchester, dont personne ne parle ou presque. Les groupes n’aident pas : la plupart d’entre eux sont religieusement absents des réseaux sociaux, ne répondent pas aux e-mails, vivant en circuit fermé avec leurs fans et sortant à l’ancienne (vinyls ultra-limités, cassettes) leur musique préhistorique. On vous conseille particulièrement la ravageuse compilation du label Only Joking Records… Sans doute trop élégants et vendus pour cette scène aux dogmes féroces, les gandins de Spring King viennent eux aussi du garage-rock et de Manchester. Plus malins, plus pop, plus pragmatiques, ils devraient être LE groupe qui sortira de cette belle agitation – et fera la fortune au marché d’Afflecks Palace des vendeurs de Paisley shirts et Chelsea boots.